Mise à jour le 19 mai 2025
Publié le 16 mai 2025 Mis à jour le 19 mai 2025

En 2023, la démolition de la bibliothèque universitaire a marqué un tournant dans l’histoire architecturale du campus de la Porte des Alpes. Elle laisse désormais place à l’imposante charpente du futur Learning centre dont la livraison est prévue au printemps 2026. Aussi spectaculaire soit-il, ce changement s’inscrit dans une longue histoire des métamorphoses du campus. Rétrospective.

Par Anne Loustalet, doctorante en géographie au laboratoire EVS-IRG.

 

Les années 1970 : la création


1971, le nouveau campus de Bron-Parilly ouvre ses portes. Il y a encore quelques années, le terrain sur lequel il prend place, appartenait à la Société des Courses. Le choix d’implantation se fait un peu par défaut mais contente les différentes parties prenantes : un moyen de construire rapidement un nouvel établissement pour l’université, d’éloigner les étudiants du centre-ville et ainsi éviter les désordres pour la ville de Lyon et la Préfecture, mais aussi de rembourser rapidement ses dettes pour la Société des Courses.
 
Dans le cadre d'une mission doctorale de médiation scientifique financée par LYSiERES², Anne Loustalet est chargée de valoriser le patrimoine architectural du campus Porte des Alpes, où des travaux d'envergure sont actuellement en cours et annoncent l'arrivée de La Ruche et d'une résidence étudiante. Elle partage ici ses recherches avant de se lancer dans la conception d’une médiation pour raconter aux usagers et usagères des lieux l’histoire de cette architecture particulière et les enjeux sociaux, économiques et politiques qui l’ont façonnée.
L’architecte René Dottelonde, ses associées et associés conçoivent un programme architectural qui incarnent les nouveaux objectifs de l’université. L’abolition des hiérarchies entre personnels et entre disciplines se traduit par l’entremêlement des bâtiments et le système de « rue centrale » qui traverse d’est en ouest le campus, l’emploi massif de verrières tant en façades extérieures qu’intérieures et la modularité des structures via la mise en œuvre du « système Pétroff ». Du nom de l’ingénieur qui l’a brevetée, cette technique devait permettre de futures extensions du campus. Elle repose sur le placement régulier de poutres métalliques tous les 6 mètres, de façon à former un quadrillage, sur lesquelles sont boulonnées les éléments de planchers. Sur cette structure sont ainsi fixés des panneaux en béton à revêtement plastique.
 

PDA - Système Pétroff
Détails du système Pétroff : poutres métalliques, éléments de plancher et panneaux « Matra 2 »
© CC BY-NC-ND 4.0, Pierre Clavel, 1974, Bibliothèque municipale de Lyon, fonds du Centre régional de documentation pédagogique de Lyon, cote P0707 CRDP R00114
PDA - Vue aérienne 1981
L’hypermarché Auchan, la rue André Bouloche, le campus et le quartier des Lads en 1981 © Agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise
Ainsi, dans son état d’origine, le campus se déployait en « nappes » successives de bâtiments tous interconnectés les uns aux autres et formait une unité de vie autonome. Sa capacité maximale d’accueil, fixée à 7 500 étudiantes et étudiants s’avère vite insuffisante et contraint l’université à se poser la question de son extension.
 
PDA - IUT 1998

Les années 1990 : la densification


À la fin des années 1980, le contexte financier est favorable pour l’université : le plan « Université 2000 » et les crédits du projet « Été 1992 » alloués par le ministère de la Culture permettent d’engager d’importants travaux d’extension et d’aménagement du campus tout au long de la décennie 1990.
 
Ci-contre : L’IUT Lumière en 1998 © Université Lumière Lyon-2, fonds de la Direction de la Communication, cote COM_P 045 B19
Cette densification se manifeste, dans un premier temps, par la création de la Halle des Sports dont l’implantation sur les parties hautes du site devait ramener de l’urbanité le long de la rue André Bouloche et faire dialoguer le campus avec les surfaces commerciales récemment construites. La décennie 1990 est aussi marquée par des opérations plus opportunistes : c’est le temps des préfabriqués implantés entre les différents modules du projet Dottelonde.

Mais la majeure partie des aménagements dépend du projet d’aménagement du Champ du Pont à Saint-Priest, actuel parc technologique de la Porte des Alpes. Le campus de Bron est en effet envisagé comme un facteur d’attractivité pour convaincre les entreprises de s’installer dans cette nouvelle zone d’activité économique. La construction de l’IUT Lumière, entre 1990 et 1994, est ainsi une conséquence directe du tournant « entrepreneurial » de la Porte des Alpes. Ce projet métropolitain explique également l’éloignement du bâtiment Europe (aujourd’hui « V »), sorti de terre en 1998, par rapport au campus d’origine : il devait jouer le rôle d’une interface entre l’université et le parc technologique.
 

Les années 2010 : la disparition


Dans les années 2010, les opportunités foncières se font rares et le bâti originel atteint un degré de vétusté accru. Malgré une labellisation « Patrimoine XXe siècle » en 2000, l’université opte pour la démolition-reconstruction d’une partie de son patrimoine bâti.

En 2012-2013, le bâtiment I, situé à l’entrée du campus, est démoli et remplacé par le massif bâtiment de l’ICOM. Dans la foulée, est décidé la restructuration profonde du problématique bâtiment K . Construit au moment du choc pétrolier, on avait raboté sur la qualité des matériaux employés pour contenir le coût de sa construction. Malgré la conservation de sa structure, l’ensemble surélevé de plusieurs étages et fardé d’une couleur orange vif, s’éloigne profondément du vocabulaire architectural d’origine. La démolition de la bibliothèque universitaire en 2023 vient parachever la disparition progressive du campus Dottelonde dont les deux parties subsistantes, désormais isolées l’une de l’autre, ont rendu caduque le système de rue centrale.
 
PDA - Bâtiment K 1974
Vue sur le bâtiment K en 1974
© Bibliothèque Kandinsky - Centre de recherche du musée national d’art moderne, fonds Véra Cardot et Pierre Joly, cote 3505 DOTTE a P07304_P
PDA - Bâtiment K 2025
Vue actuelle sur le bâtiment K
© Anne Loustalet, 2025
Si les restructurations architecturales ont porté une atteinte évidente à l’intégrité du campus, ce sont peut-être les ajouts opportunistes de clôtures, rampes en béton et autres préfabriqués qui ont contribué à le rendre difficilement lisible et accessible. Ils ajoutent en effet une couche de complexité au système originel de rue centrale, dont le caractère sinueux et les nombreuses différences de niveau avaient déjà du mal à être appréhendés.
 

Une patrimonialisation inachevée ?


À l’issue de cette courte généalogie de l’architecture du campus de la Porte des Alpes, émerge un paradoxe : le campus d’origine n’a jamais été autant altéré qu’à la suite de la labellisation « Patrimoine XXe siècle » (aujourd’hui « Architecture contemporaine remarquable »).

Phénomène courant dans le champ patrimonial, il affecte tout particulièrement le patrimoine d’après-guerre, des grands ensembles aux équipements publics. Porteur d’une mémoire sociale et témoins d’innovations architecturales inédites, ce type de patrimoine est pourtant peu valorisé dans l’imaginaire collectif.
 
Ci-contre : Implantation du campus et urbanisation de la Porte des Alpes de 1968 à nos jours © IGN
PDA - Vue aérienne de 1968 à nos jours
Dans le cas du campus de la Porte des Alpes, la labellisation, parce qu’elle n’est pas contraignante, a permis de capitaliser sur la mémoire de cette architecture avant-gardiste sans pour autant conserver l’enveloppe matérielle des bâtiments. Cela permet ainsi de relativiser les conséquences de la démolition en faisant de la mémoire une condition suffisante à la patrimonialisation.