Mise à jour le 25 oct. 2023

Les muses de Linné, Sexe, genre et botanique

Publié le 27 juin 2023 Mis à jour le 25 octobre 2023

Dans le cadre du projet LYSiERES², Alice Hugues et Marianne Lang ont réalisé une mission en médiation scientifique de janvier 2023 à juillet 2023 pour développer des dispositifs de médiation innovants et réfléchir sur cette expérience pratique au cours du doctorat. Elles reviennent ici sur cette expérience.

vigniette herbier mission doctorale

En poussant la porte des collections de l’herbier de l’université de Lyon 2, sur le campus de la Doua, nous avons fait un bond dans l’histoire. En réalité, il faudrait bien lire et écrire « histoires », avec un h minuscule, et même au pluriel, car celles que nous nous sommes attachées à partager ne sont pas celles que l’on enseigne habituellement aux étudiant·es ou que l’on conserve communément dans les archives !

Nous sommes toutes deux des doctorantes en biologie du développement des plantes, une discipline héritière du naturalisme et de la systématique qui ont émergé à partir du XVIIIème. Au fil de discussions, de questionnements sur les rouages de la recherche académique et publique en France, de lectures personnelles, nous avions déjà gratté la surface du sujet des discriminations de genre, de classe et de race dans la construction des sciences. C’est avec ces interrogations en tête que nous avons visité les collections de l’herbier de l’Université Claude Bernard Lyon 1 pour la première fois, immergées dans l’atmosphère des lieux et éclairées par les anecdotes de Mélanie Thiebaut et Blandine Bartschi, responsables des collections. Elles nous ont conté les grandes campagnes d’explorations, le commerce de spécimens de plantes entre grandes villes de tous les continents, les écrits passionnés communiquant les nouvelles découvertes et les vies de ces grands collectionneurs explorateurs, botanistes et naturalistes, parfois aussi ethnologues. Une question nous est restée en tête : que se cache-t-il sous le vernis merveilleux des épopées de ces riches hommes du XVIIIe ?

mission_doctorale_herbier

Avec la complicité de celles qui font aujourd’hui vivre l’herbier, nous avons axé notre travail autour d’un grand thème :

Pourquoi la botanique fut elle un exemple remarquable d’exclusion et d’invisibilisation des femmes dans les espaces où la science se construisait ?

Nous nous sommes appuyées sur les travaux de chercheur·euses en études du genre et en histoire des sciences, notamment ceux de Londa Schiebinger historienne américaine, mais aussi de chercheurs lyonnais ayant mis au jour les rares parcours de femmes botanistes en France à partir du XVIIème siècle (Philippe, s. d.; Bange 2021). Ces études qui ne sont pas écrites au genre unique nous donnent un angle de compréhension alternatif. Certains écrits qu’iels citent illustrent crument la façon dont les mœurs de l’époque, connus pour être ordinairement et violemment sexistes, racistes et élitistes, influencèrent la construction de la botanique, et réciproquement comment la botanique les légitima. Certains grands botanistes de l’époque trouvèrent en effet dans la description de la nature, les justifications de l’exclusion des femmes des domaines intellectuels (Schiebinger 2004),

Pour compléter ces travaux académiques, nous nous sommes lancées à la recherche de petits indices dispersés dans les bibliothèques, et pouvant traduire ces processus d’invisibilisation et d’exclusion ; remerciements timides en dernières pages de manuels de botanique, signatures inédites sur les planches de spécimens de plantes, manuscrits égarés. Quand elles n’étaient pas disponibles dans les rayonnages des locaux de l’université, nous avons cherché ces ressources dans les collections du musée des Confluences, de la BNM, de la BNF, et de la société linnéenne de Lyon. Nous essayions de trouver des preuves presque introuvables aujourd’hui ; soit parce que les femmes impliquées en botanique étaient effectivement très peu nombreuses, soit parce qu’elles n’ont laissé que peu de traces. Si les seules rares botanistes furent contraintes par leurs pairs masculins, leurs maris, ou elles-mêmes à travailler dans l’ombre, certains parcours se démarquent. Clémence Lortet en particulier fut une botaniste lyonnaise influente dont l’histoire a été redécouverte grâce aux archives dépoussiérées et déchiffrées avec minutie et patience par sa descendance (Lortet s. d.).

Comment ensuite transmettre notre enquête à travers les XVII et XVIIIe siècle au public ?

Peut-être en l’invitant à faire exactement comme nous : essayer de retrouver des fragments d’histoires des marginales de la botanique ? Nous avons donc imaginé une visite particulière des collections, pendant laquelle le public serait convié, comme dans un jeu de piste, à fouiller dans les étagères, et à ouvrir avec nous certains documents inédits : correspondances entre pairs, notices nécrologiques, journal de cueillette, journal intime… Rendez-vous en octobre prochain, à l’occasion de la Fête de la Science, pour en découvrir davantage !

Au cours de ce projet de médiation, nous avons embarqué pour un voyage pavé de rencontres aussi inattendues que joyeuses et enrichissantes. Nous tenons particulièrement à remercier chaleureusement Pierre Lortet pour son enthousiasme et son aide précieuse, ainsi que Pauline Laugraud et Cédric Audibert de nous avoir ouvert les portes des archives du Musée des Confluences et de nous avoir prêté et transmis des documents inédits.  

Par Alice Hugues & Marianne Lang

Références :
  • Bange, Christian. 2021. « Clémence Lortet, au premier rang des botanistes de la province ».
  • Lortet, Pierre. s. d. « Les Lortet: Clémence Lortet ». Lortet: petite généalogie familiale de l’Ancien Régime à nos jours (blog). Consulté le 23 juin 2023. http://lortet.blogspot.com/2008/02/clemence-lortet.html.
  • Philippe, Marc. s. d. « Botanique morale et religieuse au XIXes siècle ». La Garance voyageuse, no 118.
  • Schiebinger, Londa L. 2004. Nature’s Body: Gender in the Making of Modern Science. Rutgers University Press.