Mise à jour le 24 nov. 2023

Tiers-veilleur dans une recherche participative : pourquoi, comment ?

Publié le 21 novembre 2023 Mis à jour le 24 novembre 2023
tiers veilleur











Le projet REPAé en quelques mots


REPAé = Repenser et expérimenter les pratiques dans les associations émergentes – Tiers-lieux

Il s’agit d’un projet ANR SAPS – Recherche participative qui vise à identifier des pratiques et fonctionnements associatifs qui garantissent un débat, des prises de décisions et des rapports humains démocratiques au sein d’associations dites émergentes. Il fait partie des 21 projets financés dans le cadre de l’ANR Recherche Participative, le premier appel à projet de cette agence à être orienté spécifiquement sur ces pratiques de recherche et à intégrer la notion de « Tiers-Veilleur ».

Ce projet est un partenariat entre le monde universitaire et le monde associatif afin d’éclairer les rapports au travail et à l’engagement au sein d’associations porteuses de « tiers-lieux ». Il s’agit pour cela de croiser les savoirs expérientiels et académiques de chercheur·euses « professionnels », d’associatifs rattachés au CREFAD et de collectifs de salariés et de bénévoles de cinq tiers-lieux différents.

REPAé a aussi pour objectif de faire circuler les formes de pratiques organisationnelles originales vers d'autres associations et vers le monde universitaire, tout en les analysant de façon critique.

Ce projet est porté par un binôme actrice-chercheuse ayant déjà collaboré sur le projet ThEP-S Manon PESLE, enseignante à l'Université Jean Monnet et chercheuse au laboratoire Éducations, Cultures et Politiques (ECP) et Julie CHAMPAGNE du CREFAD Loire.
Au cœur du projet se trouve un groupe de 5 personnes : deux chercheur·euses du laboratoire ECP (Yohan Dubigeon et Manon Pesle), une personne en post-doctorat (Cécile Casen) et deux salariées du CREFAD (Florence Lenertz et Julie Champagne). Cinq tiers-lieux de toute la France seront également intégrés au projet très prochainement.
 

Le rôle de tiers-veilleurs : un rôle en construction


Face au constat qu’il ne suffit pas toujours de mettre tout le monde autour d’une table pour qu’un projet de recherche participative se déroule bien et permette de croiser les types de savoirs. Il s'est petit à petit fait jour l'idée de faire appel à une entité tierce nommée par certains acteurs de la recherche participative " Tiers-Veilleur ". Ainsi, dans l’appel à projet ANR SAPS-recherche participative, un financement est prévu spécifiquement pour assurer ce rôle de tiers-veilleur.

On peut considérer dans une certaine mesure que c’est un rôle qui préexistait dans certains projets mais était bien souvent invisible et prit en charge par l’un·e des membres du projet (souvent le ou la chercheur·euse). Un processus de formalisation est donc en cours pour consolider cette dimension d’accompagnement et l’outiller professionnellement. 

Le tiers-veilleur va « veiller » donc, à ce que la démarche participative se déroule bien et soit pleinement participative. C’est souvent un expert en recherche ou démarche participative, et non pas un expert du sujet de la recherche en question. Il est ainsi aussi une sorte de chercheur embarqué puisqu’il prend du recul sur une recherche elle-même en train de se faire.

L’un des enjeux des recherches participatives étant de valoriser les savoirs - qu’ils soient issus de la recherche, des expériences ou professionnels – le tiers-veilleur doit ainsi permettre un équilibre entre les différents membres du projet et leurs approches respectives.
 

Hélène Chauveau : tiers-veilleuse du projet REPAé


En tant que chargée de projet de la Boutique des Sciences et portant son bagage venant à la fois de l’Université et de l’Education Populaire, Hélène a été sollicitée pour être tiers-veilleuse du projet REPAé, nous l’avons rencontrée :
 
Concrètement, comment ça se passe ?

Tout d’abord, lors de la rédaction du projet avant son dépôt à l’ANR, j’ai été sollicitée pour accord et pour participer à l’élaboration des points méthodologiques et expliciter comment la participation était envisagée dans ce projet.

Nous avions planifié 10% de mon temps de travail, soit environ 1 demi-journée par semaine pour l’accompagnement de ce projet spécifique. Actuellement, j’assiste par exemple à environ une réunion sur deux de mise en place : cela me permet d’observer les rapports que les 5 co-chercheu.euses entretiennent entre eux et d’essayer d’anticiper leur besoins et attentes sur mon rôle un peu nouveau.

J’ai aussi pour le moment réalisé cinq entretiens avec les membres du « noyau principal » sur différents aspects :

  • Leur rapport individuel à la recherche participative ;
  • Leurs parcours dans le monde de la recherche, associatif et professionnel ;
  • Leurs envies et attentes sur ce projet ;
  • Comment rendre ce projet participatif selon eux·elles ;
  • Leur vision du rôle d’un tiers-veilleur.

Ces entretiens vont ainsi permettre de poser ce qui fait commun et ce qui fait dissensus parmi les membres du projet.

Nous rédigeons aussi un blog de recherche à six, comme une sorte de carnet de bord de la recherche en cours. Cela permet de prendre du recul et de formaliser les choses comme cela peut souvent se faire dans les projets.

À partir de 2024, je vais pouvoir participer au travail de terrain et plus particulièrement être présente sur les relations avec les cinq tiers-lieux du corpus. J’ai ainsi par exemple participé aux discussions sur les critères de sélection des tiers-lieux et je serai observatrice et facilitatrice dans les liens avec eux pour assurer que leur participation soit réelle et qu’ils ne soient pas de simples terrains d’enquête.

Il y a différents enjeux en lien avec l’intégration des tiers-lieux (et des terrains en général) à la démarche de recherche dans une ambition participative :

  • Comment les contacter : une recherche sur vous mais surtout avec vous
  • Préciser ce que cela implique : donner envie sans faire peut
  • Poser les choses clairement : pour que les attentes et besoins soient respectés

Mon expérience avec la Boutique des Sciences est utile d’ores et déjà, par exemple, pour la prise de contacts avec les tiers-lieux. En effet, c’est quelque chose que nous réalisons déjà dans le cadre des stages de recherche participative que nous montons avec les associations : il s’agit toujours de présenter ce que le projet apporte mais aussi anticiper ses limites, repérer les potentiels conflits ou difficultés qui pourraient mettre en péril la conduite de la recherche, la structure elle-même ou l’appropriation de l’une par l’autre..

Les 1ers ateliers auront lieu au printemps 2024. Je participerai à la coanimation et apporterai des outils de co-construction et de facilitation pour que les membres de l’équipe de co-chercheur·euses parviennent à impliquer en profondeur les collectifs sur les lieux d’enquête – tout en gardant le cap de leur projet ! Le rôle du tiers-veilleur est important à la fois pour la gestion des attentes de tous·tes mais aussi pour permettre le dialogue et la compréhension mutuelle tout au long des deux années.

Je souhaite aussi être une personne ressource pour les tiers-lieux impliqués. J’ai du temps dédié spécifiquement pour être là pour les temps de co-construction. Je peux ainsi participer à la mobilisation des tiers-lieux et aider à maintenir mobilisés les groupes de travail. Je ne pourrai pas aller dans les cinq terrain mais je proposerai des éléments pour permettre à chaque collectif l’acculturation à la recherche et à la recherche participative, en gardant un œil aussi sur le groupe de co-chercheur·euses et leur réceptivité à ce que les terrains apporteront. Il s’agit d’expliquer les démarches, les processus, de répondre aux questions et peut-être même à des questions que les personnes des tiers-lieux pourraient ne pas oser poser face à l’équipe de recherche en tant que telle.

Comment vois-tu ton rôle de Tiers-Veilleur ? 

Pour moi, le tiers-veilleur est là pour baliser la démarche de recherche participative. Comme une balise, il vient aider à matérialiser les limites et les contours, même s'ils peuvent être discutés et évoluer au fil du projet. Il doit apporter des outils, un regard extérieur mais empathique, mettre en lumière les éléments à travailler collectivement et également finalement faciliter une forme d’auto-évaluation.

Nous avons discuté ensemble avec les 5 co-chercheur·euses de mon rôle. Je ferai une proposition plus formelle et cadrée de la façon dont il va s’incarner après avoir analysé les entretiens que j’ai mené avec eux·elles. Pour l’instant, cela se construit un peu au fil de l’eau. Je réaliserai aussi un rapport de mi-parcours, entre le rapport d’étonnement et la proposition d’un cadre concret d’accompagnement, avec de premières analyses aussi de ce que produit d’ores et déjà la participation dans ce projet, en termes épistémologique, scientifique, humain, et même politique.

Lors des entretiens, j’ai interrogé les cinq membres du « noyau » sur ce qu’est ou doit-être, pour eux, un tiers-veilleur et quel est son rôle. Il y a eu des réponses différentes avec par exemple l’idée d’un arbitre. Cela exprime une méfiance entre autres vis-à-vis de l’institution, une crainte qu’il s’agisse d’une sorte d’évaluateur venu distribuer les bons et mauvais points de la participation. Il y a donc je crois un vrai travail de mise en confiance et de légitimation de ce rôle à faire. Je n’ai pas envie d’être dans une position jugeante mais être là pour aider durant le projet et face à des difficultés, et en même temps, dans cette notion de « veille » il y a cette dimension d’être « garant » de quelque chose.

Dans cette fonction de tiers-veilleur, il y a aussi pour moi l’idée d’aller regarder ce que font les autres tiers-veilleurs et comment cela se passe dans les autres projets. Il s’agit de documenter comment se passe la recherche participative est en tirer des leçons. En effet, parmi les tiers-veilleurs, il y a une grande diversité de profils : des chercheurs, des free-lances, des médiateurs, etc. Dans le cadre des projets ANR, ils sont forcément extérieurs au consortium des projets sélectionnés et chacun active son rôle sans doute très différemment avec son propre bagage.

D’ailleurs, le 15 février 2024, nous organisons une journée professionnelle avec les tiers-veilleurs des différents projets ANR Recherche Participative 1 en partenariat avec Sciences citoyennes, afin de nous rencontrer, construire peut être des approches communes et échanger, en tous cas, sur nos pratiques et éventuelles difficultés

Vois-tu des difficultés dans cette position de tiers-veilleur ?

Il n’est pas simple de trouver sa place dans le collectif : est-ce que je suis dans le noyau central ? est-ce que je fais seulement partie du cercle plus large avec les tiers-lieux ? à quel point dois-je rester extérieure aux discussions, aux enquêtes pour garder la prise de recul ?

Lors de ma thèse, j’ai travaillé en tant que chercheuse sur des enjeux pouvant s’approcher parfois de ceux traités dans REPAé et l’éducation populaire – notamment en milieu rural – est un milieu que je connais, mais je ne suis pas là pour ça ! Ce n’est donc pas aisé de savoir quand donner mon avis car je ne suis pas là en tant que membre de l’équipe de recherche mais bien en tant qu’experte de la médiation et de la recherche-participative. Je trouve petit à petit ma place d’observatrice et bientôt d’outilleuse et de focale décalée qui je l’espère permettra à ce projet d’embarquer des collectifs de façon saine aussi pour les cinq co-chercheur·euses.

Un autre aspect est que je réalise un peu une recherche sur eux en tant que collectif produisant de la recherche participative, mais pas avec eux – car eux sont dans la conduite de leur propre recherche. Ma posture n’est donc paradoxalement pas celle d’une recherche participative, bien que je sois là justement pour aider sur cette façon de faire de la recherche. Ce n’est pas le seul paradoxe de cette posture mais il va me falloir jouer avec, et réfléchir à comment baliser aussi mon propre rôle de balise !